3) Les origines du Kishū médiéval: la période Tsuwachi (vers 600 à 957)
a) Du royaume de Kino au royaume du Kishu: organisation politique et sociale
La fin de la période Iwaka marque aussi l'avènement pour la première fois d'une autorité unique sur l'île de Kiyano, qui représente les 4/5èmes de la surface de l'archipel. Il s'agit dans les faits d'une extension du royaume de Kino à l’ensemble de l'île, accompagnée de l'extension de ses pratiques politiques, culturelles et économiques. Si une partie des élites dirigeantes des royaumes conquis sont cooptées, l'essentiel des nouveaux maîtres de la terres sont issus des plus puissants chefs tribaux de l'entourage du clan royal Hi de Kino - la future famille royale Hirai.
A cette époque, l'organisation sociale du Kishu évolue aussi, et acquiert certain des aspects qui seront les plus caractéristiques de son évolution ultérieure. En recoupant les informations des premières sources écrites avec les témoignages issus de la culture symbolique de l'époque précédente, il a été possible d'identifier un système des Trois Animaux (renard, poisson et caille), qui définissait symboliquement les classes dirigeantes, hommes libres et esclaves de l'époque précédente, et se superposait pour les hommes libres à un ensemble de corporations professionnelles semi-claniques.
Avec le temps, la spécialisation économique, mais aussi les contacts croissants avec le monde liangois, les Trois Animaux laissent la place à un système relativement flexible de castes, les "Quatre Rangs", comprenant Ceux du Sang Divin, c'est-à-dire les élites dirigeante et sacerdotale, le Deuxième Rang, rassemblant les serviteurs de la cour et ministres, le Troisième rang, rassemblant les paysans libres et artisans, et le Quatrième Rang, regroupant les esclaves et populations tribales.
Ce système des Quatre Rangs, malgré les réformes ultérieures d'inspiration liangoise et l'arrivée de population qui lui demeureront extérieures, persistera plus ou moins informellement jusqu'au XIXème siècle, et consacrera une stratification sociale assez stricte. Cependant, le Quatrième Rang, composé d'esclaves, se réduira graduellement à partir du XIVème siècle, sous l'influence croissante du clergé bouddhiste, et se fondra avec le Troisième Rang, pour constituer la classe des Heimin (平民), les roturiers, tandis que le Deuxième Rang évoluera pour correspondre aux Yukatchu (良人). Seules les familles de la plus haute noblesse conserveront leur spécificité ancestrale.
L'économie évolue progressivement vers une agriculture latifundiaire dans le coeur du royaume, entre les plaines de Yaeno et de Yoniseki, les élites du Sang Divin ayant acquis de grandes richesses dans les guerres d'expansion, qu'elles investissent dans la consolidation de leurs domaines foncier. Le pouvoir de l'élite en sort très renforcé, ce qui permet une concentration toujours plus grande des richesses dans la région centrale de l'ouest de Kiyano. En parallèle, des représentants des mêmes familles financent une campagne de construction de sanctuaires religieux, inspirés des sanctuaires royaux de la période précédente, et qui prendront bientôt une grande importance dans les provinces. Souvent, ce sont les filles de ces familles qui y assument les fonctions sacerdotales, pendant que les garçons héritent des domaines terriens.
Vers le milieu du VIIème siècle, la cour, longtemps itinérante - près d'une dizaine de sites palatiaux autour de l'actuel sanctuaire d'Uchaajinja ont été répertoriés - se fixe pour la première fois, à Kazekyo, une ville placée sous le patronage de la déesse du vent, Kayonogami, dont le nom évoluera graduellement vers sa forme contemporaine; Kayo-no-Kami.

Les premiers témoignages de la peinture Kishienne portent la marquent de l'influence liangoise.
b) Les Sept Humbles Missions
Mais face à l'influence croissante des chefs des grands clans, qui assurent un contrôle de plus en plus fort des campagnes et donc des revenus, les souverains de la dynastie Hirai décident de renforcer leur propre légitimité et capacité administrative, en profitant des contacts commerciaux et intellectuels croissants existants avec la Ventélie continentale, et notamment la dynastie Qiang du Grand Liang. Entre 717 et 827, sept délégations officielles du Kishu sont envoyées à la cour impériale - les Sept Humbles Missions. En échange d'un tribut et d'une reconnaissance symbolique de la suzeraineté liangoise, le souverain du Kishu reçoit des empereurs liangois le titre officiel de roi (王), qui, s'il ne change rien sur le terrain, constitue un gain de prestige considérable pour le clan Hirai, qui se trouve ainsi inséré dans l'ordre politique et symbolique ventélien. Plus substantiellement, à partir de la quatrième visite, les officiels Kishiens sont accompagnés de vastes délégations de jeunes nobles prometteurs, qui iront se former dans les académies liangoises, et à leur retour contribueront grandement à répandre la culture littéraire et politique liangoise chez eux.
En parallèle à l'établissement de ces liens formels, l'ouverture croissante du commerce avec le continent voit l'implantation des premiers ports marchands sur la côte, et de petites communautés liangoises, même s'il faudra attendre le tournant de l'an mil pour que l'un d'entre eux, Ashino, ne grandisse jusqu'au point de former le noyau de la future métropole côtière de Shikki.
Le résultat des Missions est un renforcement graduel de l'influence de la couronne, et de ses plus proches alliés parmi les seigneurs de l'ouest, enrichis par le commerce, mais aussi l'arrivée du bouddhisme dans l'archipel.

L'Arakan Dai-Ji est le premier des monastères Kishiens. Les bâtiments actuels ont été édifiés à partir de la période Rokuon (XIème siècle).
c) L'arrivée du bouddhisme
En effet, cette religion accompagne les marchands et les émissaires dans leurs trajets entre le Liang, où elles est implantée depuis plusieurs siècles, et le Kishu. Dès 737, des moines bouddhistes se présentent devant la cour à Kazekyo, et obtiennent de fonder le premier monastère de l'archipel, le Arakan Dai-Ji, le Grand Monastère du Très Honoré, dans l'actuel municipalité de Kurasoe.
La nouvelle religion progresse assez rapidement parmi les élites urbaines et les communautés marchandes, servant d'interface pour l'entrée de la culture plus sophistiquée du continent, mais se heurte aussi à des résistances dans les campagnes, où le culte traditionnel demeure fort, et parmi certains des clans du Sang Divin, y compris dans l'entourage de la famille royale. Ces tensions se superposent à celles, politiques, liées à la propriété de la terre, et aboutissent à la rébellion de Shoni no Shirakame dans le sud-est de l'île en 810. Cette révolte, qui dure plus d'un an avant que les troupes de la capitale ne parviennent à y mettre un terme, voit la destruction de plusieurs des premiers monastères, dont le premier Arakan Dai-Ji.
Cette période voit également l'émergence d'un art bouddhiste Kishien caractéristique, dont le statuaire partage certains traits avec l'art de la période Iwaka tardive. Sur le plan doctrinal, si l'ère n'est pas encore à l'osmose Bouddhiste-Kishinto, les deux fois coexistent sans s’exclure mutuellement: la famille royale, tout en finançant des monastères, conserve ses fonctions religieuses ancestrales, et son lien très personnel avec la déesse Kayo-no-Kami. Le bouddhisme kishien précoce se caractérise par sa diversité, et regroupe aussi bien des sectes ésotériques Mahayana (Tendai, Shingon) que Nikaya (Kusha-shū et Ritsu).

Illustration du XIIIème siècle, représentant la Guerre des Trois Princes
d) La Guerre des Trois Princes et les Trois Rectitudes
La fin du premier millénaire est une période de tensions politiques croissantes au sein du Kishu: malgré les
premières réformes subséquentes aux Sept Humbles Missions, le pouvoir de la dynastie royal Hirai ne cesse de s'effriter, et doit de plus en plus souvent s'appuyer sur le clergé de Kayo-no-Kami, qui gagne en puissance et fait édifier l'Uchaajinja, le grand temple royal, à proximité des anciens sites sacrés. En parallèle, les grands nobles de la cour ont amassé des fortunes considérables, et étendu leur influence, notamment en menant des guerres privées pour annexer certaines des îles voisines: c'est ainsi que le clan Asano s'empare d'Hokushiri en 870, et le clan Naga capture Yakagi en 886. Pire, dans l'est de Kiyano, les clans ont conservé une tradition d'indépendance relative à l'égard du pouvoir central, tandis que dans l'ouest, le coeur originel du royaume, les riches terres agricoles sont sous contrôle des grands Kuge de la cour.
Un
conflit dynastique est le catalyste de la Guerre des Trois Princes, qui oppose entre les princes Eiji et Shō, fils du roi Chūzei. La guerre est déclenchée après l'
échec d'une expédition royale de conquête de Tsugari, la grande île voisine de Kiyano, dans laquelle le prince héritier, Kamino, perd la vie. La succession, contestée, ne peut être décidée par le roi Chūzei, frappé de démence. Les Kuge de l'est prennent alors fait et cause pour Shō, et chassent Eiji de la capitale. Ce dernier trouve alors refuge auprès de son oncle, le prince Nariakira, qui soutient sa cause, avec l'appui des milieux marchands, du clergé Kishinto et des moines de l'Arakan Dai-Ji. Pendant quatre ans, de 940 à 944,
le pays est dévasté par la conflit, et ce monastère notamment est incendié durant la capture de la capitale. La guerre se poursuit jusqu'à la mort des deux princes à la bataille d'Eyama en 944. Par défaut, la couronne revient alors à Nariakira, qui prend le nom de règne de Kōtoku.
Profitant de sa position de force militaire,
il impose alors un programme ambitieux de réforme de la monarchie et du pays: les
Trois Rectitudes. Présentées dans un
Mémoire pour la Restauration du Peuple par la Pratique des Trois Rectitudes, celles-ci comprennent la
Rectitude de l'Intention, la
Rectitude des Paroles, et la
Rectitude des Actes, et procèdent à une centralisation sur le modèle impérial liangois. Les domaines tribaux hérités de la conquête Kino et la grande propriété terrienne sont remplacés par le
système des provinces des gouverneurs (dont la carte est visible
ici), tandis que la cour royale est entièrement réformée. les anciens rangs et titres disparaissent, excepté sur le plan religieux, et le système des Quatre Rangs est officiellement proclamé comme la base de la société kishienne. Enfin, l'
ancienne capitale, Kazekyo, dévastée par le conflit, est remplacée par une nouvelle, située plus au sud:
Azaikyo, édifiée sur le modèle de la capitale du Grand Liang, Kaijing.
L'arrivée au pouvoir du roi Kōtoku voit donc
une augmentation massive de l'influence des lettrés, en particulier d'origine liangoise,
de la classe marchande, et des grands monastères bouddhistes. Les monastères, à commencer par l'Arakan Dai-Ji, reçoivent d'importants émoluments et terres, récupérant notamment nombre des territoires qui avaient appartenu aux alliés du prince Shō. Cette importante emprise terrienne sera l'une des caractéristique de l'époque monastique féodale Kishienne par la suite.
Traditionnellement, les historiens marquent la fin de l'ère Tsuwachi à la mort du roi Kōtoku en 957.